L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a déclenché un émoi patrimonial mondial, marquant la puissance symbolique de ce monument superstar le plus visité d’Europe. Alors que cette communion internationale se poursuit, gouvernement, experts, donateurs et journalistes se mobilisent autour des enjeux d’une restauration ambitieuse : projets alternatifs, financements, délais, compétences, matériaux et technologies.
Bois ou métal léger ? Structure identique, différente ou hybride ? Le débat s’installe entre puristes, esthètes et modernistes sur le design et les méthodes à privilégier. Les défenseurs d’une réhabilitation fidèle à la dernière configuration historique affrontent les partisans d’un ouvrage plus contemporain. Quels que soient les choix architecturaux, les technologies numériques du patrimoine seront essentielles pour restaurer et préserver le monument emblématique, ainsi que pour développer un accès virtuel aux trésors passés et présents, pendant et après les travaux.
Les cathédrales, lieux d’expérimentation numérique
L’adoption des TIC (Technologies de l’information et de la Communication) par les organisations du patrimoine contribue à leurs missions de préservation et d’accès. En raison de leur gigantisme et de leur complexité, les cathédrales ont toujours été des lieux d’innovation technologique. C’est encore vrai aujourd’hui, notamment avec les technologies numériques. En effet, les nombreux projets associant les cathédrales aux dispositifs numériques les plus récents, tels que Digital Cathedral, e-Cathedral, and Mapping Gothic France, témoignent de l’intérêt de la communauté scientifique, des pouvoirs publics et des entreprises d’éducation et de loisirs, qui voient dans la technologie numérique un puissant outil de préservation et de médiation du patrimoine.
Le département Informatique de l’Université Columbia, à New York, a lancé un projet majeur visant à préserver numériquement la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, la plus élevée de France, dotée de la plus haute voûte du monde. Cet édifice monumental s’est effondré à plusieurs reprises au Moyen Âge et a été endommagé par les bombes et les incendies pendant la Seconde Guerre mondiale. La structure est très fragile en raison de sa conception audacieuse, de son âge avancé, du sol instable, des traumatismes passés et des modifications mal gérées. 220 numérisations internes et externes prises à partir de plusieurs emplacements ont été utilisées pour documenter et modéliser la structure en 3D, ce qui permet de la renforcer, de la préserver et de la transmettre aux générations futures.
Dans une fonction mémorielle, les technologies numériques archéologiques sont utilisées pour reconstruire et visualiser des sites disparus, partiellement détruits ou inaccessibles tels que Pompéi, Palmyre, ou les Grottes de Lascaux. Ces technologies peuvent les reproduire ou les simuler si fidèlement que le public ressent leur aura dans ces répliques virtuelles.
La cathédrale Saint-Donato à Arezzo, en Italie, est un exemple de reconstruction numérique complète d’un monument détruit, dont il ne reste que des ruines. Les mondes virtuels ouverts ont également été utilisés par une équipe de chercheurs de l’Université de St Andrews, en Écosse, pour reconstruire et animer numériquement la cathédrale de St Andrews un édifice roman abandonné, effondré et saccagé.
Le projet européen Vista-AR vise à utiliser les technologies numériques pour « découvrir le passé et l’histoire invisible d’un site » et améliorer l’expérience des visiteurs. La cathédrale d’Exeter, dans le sud-ouest de l’Angleterre, qui a subi de nombreux dommages, a été réparée et transformée à plusieurs reprises. Grâce à l’utilisation de systèmes de réalité augmentée ou virtuelle immersifs, tels que des casques, des tablettes et des smartphones, les visiteurs seront en mesure d’assister à des scènes de la vie passée, de rencontrer des personnages d’antan et d’accéder virtuellement à des artefacts manquants ou inaccessibles.
Les technologies numériques sont également largement utilisées pour créer divers outils de médiation, tels que des audioguides, des applications, des jeux sérieux, des spectacles son et lumière et des jeux vidéo ludiques. Certains événements numériques reposent également sur une combinaison de technologies, notamment les spectacles multimédias diffusés pendant l’été sur les façades des cathédrales d’Amiens (Chroma), Reims (Regalia) et Notre-Dame de Paris (Dame de Cœur), ainsi que l’expérience Aura à la basilique de Montréal conçue par Moment Factory. Les technologies numériques aident les visiteurs à mieux connaître le site, à attirer de nouveaux publics et à enrichir l’expérience de ces vestiges du passé.
Les technologies numériques pour restaurer Notre-Dame
Dans le contexte de la destruction partielle de Notre-Dame de Paris, le numérique peut être utilisé comme une ressource pour : (1) préserver le bâtiment de manière numérique en utilisant des images panoramiques, stéréoscopiques, à très haute définition, ainsi que des bibliothèques et des archives numériques ; (2) révéler et éventuellement résoudre un certain nombre de mystères associés à la construction d’édifices religieux et aux symboles qu’ils contiennent à l’aide d’images spectrales, infrarouges et ultraviolettes, et de la tomographie 3D ; (3) reconstruire la cathédrale à l’aide de scanners et d’appareils de modélisation numériques ; (4) maintenir les visites touristiques pendant les travaux, pour tous, partout et tout le temps, à l’aide d’applications, de dispositifs de réalité virtuelle ou de visiocasques HMD (Head-Mounted Display).
La cathédrale Notre-Dame de Paris, en tant que site touristique le plus populaire d’Europe, a été étudiée, documentée, filmée et analysée de manière approfondie. Les balayages laser numériques 3D réalisés par l’historien Andrew Tallon, ancien professeur d’art et d’architecture médiévales au Vassar College de New York décédé en 2018, s’avéreront particulièrement utiles. Les précieuses données collectées et mises à disposition en accès libre contiennent plus d’un milliard de points mesurés, formant une carte numérique.
Les sociétés AGP (Art Graphique & Patrimoine) et GEA (Géomètres-Experts), spécialisées dans la numérisation 3D, ont également travaillé sur la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ils ont produit un modèle 3D du toit et des poutres pour la rénovation en cours qui a probablement déclenché l’incendie. Ce modèle sera désormais crucial pour la restauration du bâtiment.
Développer un accès virtuel pendant et après les travaux
Les technologies numériques offrent aux publics sur site et en ligne différents types d’accès expérientiel aux artefacts, aux lieux et aux connaissances du patrimoine. Les dispositifs peuvent aider à diffuser, mettre à jour, orchestrer et animer des contenus multimédias. Dans le cas de Notre-Dame, qui sera restaurée et donc probablement inaccessible pendant au moins cinq ans, les technologies numériques peuvent être utilisées pour diffuser des connaissances sur le monument, son histoire, les circonstances de l’incendie du toit et de son extinction, ses conséquences, le projet de restauration, les coulisses du chantier de construction, et les diverses techniques artisanales mises en œuvre. La photo de la bâche de protection créant l’illusion de l’ancienne toiture va déjà dans ce sens.
Au Pays basque, en Espagne, la cathédrale Santa Maria de Vitoria-Gasteiz, vieille de 800 ans, est en cours de restauration mais « ouverte pendant la construction ». La fondation dédiée propose des visites guidées de deux heures, avec une exploration des fondations au clocher. La visite se termine par un spectacle son et lumière numérique, El portico de la Luz, qui révèle la manière dont l’entrée était peinte à l’origine. Déjà plus de 1,5 million de visiteurs du monde entier ont déboursé 10 euros pour profiter de la visite. Nul doute que si la Cathédrale Notre-Dame de Paris suivait cet exemple, ce serait un énorme succès.
Pour prévenir la baisse potentielle de la fréquentation touristique du monument, une solution consisterait à installer des dispositifs numériques devant Notre-Dame, à l’intérieur ou à l’extérieur de la cathédrale éphémère en bois qui vient d’être annoncée, donnant accès à un contenu riche et original tout en maintenant un lien avec le site. En effet, pour attirer les visiteurs sur place, des technologies « phygitales » (physiques et digitales) pourraient être combinées à côté de la cathédrale pour créer un nouvel environnement immersif fascinant avec des écrans interactifs, des tables numériques, des salons de réalité virtuelle et des arcades de simulations et de jeux offrant sensations et émotions fortes. Par exemple, un espace pourrait permettre de jouer au jeu vidéo d’Ubisoft, Assassin’s Creed Unity, qui propose une simulation très réaliste de la cathédrale Notre-Dame – pas assez précise pour être utilisée dans sa restauration, – mais assez impressionnante pour aider les visiteurs à apprécier son atmosphère et sa beauté.
Les installations numériques pourraient être promues en ligne, via un portail dédié fournissant des informations exclusives, ainsi que des actualités et des rapports sur les progrès de la restauration. Ce portail pourrait également accueillir une communauté virtuelle de fans de Notre-Dame de Paris animée par un community manager et promouvoir les événements organisés sur le site.
Oihab Allal-Chérif, Full Professor, Information Systems, Purchasing and Supply Chain Management, Neoma Business School et Anne Gombault, Professeur de management, directrice du centre de recherche Industries créatives Culture, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.